Laurent Godin, Gestionnaire de portefeuille senior, Edmond de Rothschild (Luxembourg): « Dans un environnement d’incertitude et volatile, il faut se garder de capituler et vendre des actifs »

Cette crise a entraîné un effondrement rapide et probablement temporaire des marchés d’actions. Ceux-ci étaient déjà sous pression depuis la fin de l’année 2021 en raison du resserrement monétaire annoncé par les banques centrales en lien avec la résurgence des tensions inflationnistes. La réaction des marchés peut surprendre au vu du poids des économies de la Russie (1,8% du PIB mondial) et de l’Ukraine (0,2% du PIB mondial). L’asymétrie s’explique par le rôle prépondérant de l’Ukraine dans la production de blé et de la Russie dans le secteur de l’énergie (second producteur de pétrole au monde derrière les États-Unis et devant l’Arabie Saoudite).

La crise géopolitique aggrave l’inflation en pesant sur les prix des matières premières; les livraisons de gaz par la Russie, de nickel et de blé par l’Ukraine étant compromises. Les matières premières énergétiques et agricoles ainsi que les métaux industriels et précieux comme l’or et l’argent se trouvent à l’intersection de deux sources de tensions, l’inflation et la guerre. Parallèlement, la prime de risque sur les actions européennes s’est accrue. Sans surprise, nous avons observé d’abord une capitulation des marchés européens d’actions, qui ont enregistré une forte baisse. Avec le retour du prix du baril de pétrole à son niveau d’avant-crise et les timides progrès de la diplomatie, les marchés entament une normalisation qui sera longue et volatile tant les dynamiques sectorielles sont perturbées. Les secteurs de la défense, de la cybersécurité et des matières premières ont bénéficié de cette nouvelle donne. En revanche, la dynamique haussière sur les secteurs bancaires et industriels qui était à l’œuvre depuis 2021 s’est brutalement inversée. La réaction des marchés d’actions intègre donc une dégradation de la croissance économique et un risque financier accru.

Malgré le risque accru, ne pas céder à la panique et rester investi

Il est toujours possible de réduire tactiquement les poches d’investissement les plus à risque comme les petites capitalisations ou les actions européennes. Il est également possible de renforcer sa position en cash, son exposition aux métaux précieux industriels ou encore à l’énergie, ou aux secteurs défensifs comme, par exemple, la santé, les fournisseurs d’accès à l’eau et à l’électricité, les produits de consommation de base.

Dans un environnement marqué par l’incertitude et la volatilité, il faut se garder de capituler et vendre des actifs lorsque le marché panique.

Historiquement, les marchés tendent à rebondir rapidement lors de crises géopolitiques. Il serait donc peut-être inopportun de réagir de manière excessive à la panique et de vendre ses positions en toute hâte. L’Histoire nous enseigne qu’en l’absence d’impact de fond sur l’activité économique, les marchés mettent en moyenne quelques semaines à revenir au niveau d’avant émergence de la crise.

La nécessaire diversification géographique, sectorielle et en termes de classes d’actifs. Ainsi, depuis le début de l’année, au 21 mars, le S&P 500 était en baisse de -4,9%, l’indice Nikkei de -5,44% et l’EuroStoxx 50 de -9,5%. Toujours en Europe, sur la même période, le secteur des matières premières était en hausse de 18% alors que le secteur industriel reculait de 10%. Lors de crises géopolitiques, ce sont surtout les primes de risque qui fluctuent brutalement, expliquant les violents mouvements sur certains actifs. Ainsi, lors de ces phases, une exposition aux actifs de qualité tels que les obligations souveraines permet d’amortir l’ampleur des chocs et de préserver la performance des portefeuilles. En période d’inflation, une exposition aux actifs physiques tels que l’immobilier et les matières premières permet également une diversification et une protection des portefeuilles.

Maintenir une exposition aux thématiques de long terme. L’intérêt d’un investissement thématique est de se positionner sur des titres dont les performances dépendent essentiellement des tendances structurelles technologiques et sociétales. La performance est ainsi moins perturbée par les fluctuations liées au cycle économique. Ce type d’investissement offre ainsi un complément aux stratégies traditionnelles en actions avec arbitrages sectoriels et géographiques. La crise actuelle démontre notamment, la pertinence des investissements dans la cybersécurité (protection contre le piratage informatique, mais aussi surveillance des infrastructures).

L’importance des actifs privés. Ces actifs non cotés en bourse et illiquides à court terme comprennent la dette privée, l’immobilier, ou encore les prises de participation dans des sociétés non cotées. Ils donnent accès à des opportunités d’investissement inaccessibles à travers les marchés publics et des rendements potentiellement élevés qui sont plus faiblement corrélés à l’évolution des marchés financiers. Enfin, cette catégorie d’actifs permet aussi aux investisseurs d’accroître la diversification de leurs portefeuilles.

En conclusion, si le conflit en Ukraine est venu exacerber inflation, incertitude et volatilité, les investisseurs peuvent adapter leur portefeuille à ce nouveau contexte en faisant preuve de sélectivité, indispensable quant au choix des titres et de sous-classes d’actifs. Il est notamment toujours judicieux d’investir dans les thèmes structurels dont la validité transcende le conflit et le cycle économique.

Ecrit par Laurent Godin

Source : Paperjam

LinkedIn
Share